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15 avril 2024

C’est si fatigant d’être libre?

Être libre c’est un droit naturel mais ce n’est pas une condition naturelle.

Ainsi, nous pouvons tous, avec raison, réclamer notre liberté mais celle-ci ne nous est pas donnée automatiquement.

Pour preuve, les régimes autocratiques et totalitaires qui peuplent la planète depuis toujours, depuis que les humains se sont constitués en sociétés structurées.

Auparavant, cette liberté n’était pas non plus donnée et la loi du plus fort était la règle.

Dès lors, pour être libre, nous devons nous organiser, c’est-à-dire créer les modalités pour que la liberté soit la règle des communautés dans lesquelles nous vivons.

Et l’on comprend bien que la loi du plus fort est une constante menace face à la loi de l’égalité entre tous qui est la base de la liberté pour tous.

Imposer sa force est, de plus beaucoup plus facile, que d’imposer le respect de la dignité de tous sur un pied d’égalité.

Or donc un régime autoritaire ou totalitaire est plus «solide» qu’un régime démocratique qui est «fragile» parce qu’il interdit aux individus d’exprimer sa liberté et, surtout, de la mettre en pratique, donc de devoir gérer une société de la diversité et de la différence.

Car, pour que la liberté existe, il faut qu’elle soit, non seulement, défendue mais, en plus, par une majorité des membres d’une communauté.

Mais être libre nécessite de se battre contre tous les ennemis de la liberté ainsi que contre tous nos comportements qui fragilisent cette condition.

Or, que voit-on dans les démocraties républicaines de ce troisième millénaire?

Un renoncement à défendre la liberté parce que cela impose des devoirs alors que la plupart d’entre nous ne parlent que de droits et refusent la responsabilité qui va nécessairement avec la condition d’être libre.

Beaucoup, d’ailleurs, estiment qu’être libre est plus fatiguant que de vivre dans un régime autoritaire ou totalitaire qui nous décharge de cette responsabilité.

La plupart d’entre eux regrette cette posture mais une fois que la démocratie a disparu.

Parce que, s’ils ne risquent plus d’être «fatigués» par leur devoir démocratique, c’est dans des prisons, des camps ou dans une tombe qu’ils risquent de se retrouver plus que fatigués.

Reste qu’il semble que de plus en plus de gens sont prêts à échanger leur liberté contre un soi-disant monde «simple» où l’on pense et on agit pour eux si on leur laisse du pain et des jeux.

Oui, la fatigue démocratique est un des principaux dangers qui guettent notre monde libre.

Et qu’effarées regardent ceux qui vivent sous le joug des autocrates et des dictateurs.

En tout cas, nombre d’entre eux…

Alexandre Vatimbella

 

05 avril 2024

La mort de l’information ou le retour à l’opinion

Certains constatent que nous sommes dans ce qu’ils appellent une dérive du journalisme.

Mais, en réalité, ne sommes-nous pas en train de (re)passer d’un journalisme d’information à un journalisme d’opinion?

La presse du 19e siècle ne retransmettait pas de l’information mais donnait son opinion.

Elle fit sa révolution quand elle décida de privilégier les faits aux commentaires.

Mais cette période s’est sans doute achevée autour du passage aux années 2000 où elle est revenue essentiellement à l’opinion.

Et elle a ajouté une des créations du 20e siècle, le marketing pour vendre littéralement ce que l’on peut appeler désormais la plupart du temps du divertissement informatif (et même plus du divertissement informatif) lorsque la finalité est avant tout commerciale et de la propagande lorsque la finalité est  d’abord idéologique.

Dans ce cadre, la vision subjective du journaliste ou du média et/ou de son ou ses propriétaires est sa base de fonctionnement.

Empêcher un journaliste de glisser dans sa transmission des faits sa propre vision et sa propre expérience de la vie est évidemment impossible, nous avons tous celle-ci et celle-là qui transparait dans ce que nous pensons, disons et faisons.

L’objectivité complète est un objectif pas une possibilité atteignable tout au moins systématiquement.

Néanmoins aujourd’hui, non seulement, cette vision (re)devient prédominante mais elle est assumée – ce qui ne veut pas dire qu’elle est déclarée officiellement – par les médias.

On pourrait dire que ce n’est pas un crime d’appâter le chaland qui, face à des offres multiples, doit être «guidé» pour choisir la vôtre.

Pour autant, ce qui est déjà souvent du mensonge et de l’intoxication pour des biens et des services, réprimés par la loi quand ils sont avérés, devient une déviation du devoir journalistique: informer correctement le citoyen sur les faits pour qu’il se fasse une opinion par lui-même afin qu’il puisse agir en toute responsabilité et en tout connaissance de cause au mieux de ses intérêt et de ceux de la communauté dans laquelle il vit, lui et ses proches.

Non pas que le commentaire doit être exclu des médias.

Les prises de position permettent d’éclairer le citoyen – comme celles des politiques – et de lui ouvrir l’esprit en le confrontant à plusieurs explications de ce réel.

Mais ces commentaires ne doivent jamais faire partie de la transmission des faits, ils viennent après avec cette évidence qu’ils doivent être balisés pour que le citoyen sache qu’il n’est plus dans les faits mais dans leurs interprétations.

Or, en ce début de troisième millénaire, les faits ne sont qu’une matière première qui est malaxée avant même d’être restituée pour coller à des buts qui n’ont pas pour but d’informer mais de créer un produit dont la finalité est d’en faire un divertissement informatif ou un endoctrinement partisan.

Pourrait-on inverser cette tendance qui est portée par l’émergence des nouveaux moyens de communication comme internet et ses réseaux sociaux auxquels les populations ne sont pas du tout formées pour décrypter leurs discours et qui va devenir de plus en plus facile avec l’intelligence artificielle qui va permettre à n’importe qui de tromper n’importe qui, ce qui a déjà commencé?

En tout cas, il est possible de lui confronter un vrai service public de l’information citoyenne qui aurait un cahier des charges très précis, des journalistes spécialement formés et qui dépendrait d’une autorité complètement indépendante et dont la mission serait de relater les faits et les expliquer, non de les utiliser à des fins commerciales ou idéologiques.

Quand on dit un «vrai service public de l’information», c’est parce que, s’il existe des structures publiques chargées de transmettre de l’information dans la plupart des pays de la planète, aucune n’a jamais fonctionné comme cet outil indispensable – au même titre que l’école qui forme – pour que le projet démocratique fonctionne.

Tant que ce ne sera pas le cas, nous resterons abreuvés de divertissement informatif et de propagande idéologique.

Et nous devrons subir ces discours où même si nous sommes capables de les définir comme étant de l’opinion, nous n’aurons pas la possibilité de connaître les faits.

Alexandre Vatimbella

 

 

04 avril 2024

Enseignant et journaliste ou la mission impossible d’instruire?

L’enseignant et le journaliste sont deux hussards de la démocratie républicaine.

Un individu ne devient un citoyen responsable de sa vie, digne et capable de vivre son individualité que s’il est correctement formé et informé tout au long de son existence.

Pour cela il doit être «instruit» c’est-à-dire que son cerveau soit nourri par une somme de connaissances qui va lui permettre de modeler lui-même son esprit et sa personnalité et d’être en capacité de prendre les bonnes décisions face à la vie, aux expériences et aux événements qui jalonneront son existence et qui lui serviront à mener du mieux possible son projet de vie.

Et pour l’instruire, il faut qu’on l’enseigne, c’est-à-dire qu’on lui transmette un savoir le plus exhaustif possible et qu’on l’informe c’est-à-dire qu’on lui transmette une information la plus complète et la plus objective possible.

Instruire l'individu pour en faire un citoyen est donc la mission de l’enseignant et du journaliste, enseigner et informer sont donc les deux mamelles de la démocratie.

Le projet démocratique repose d’abord sur ces deux devoirs de la société envers ses membres.

Mais plus l’existence du régime démocratique s’étend – bientôt 250 ans qu’il a été instauré aux Etats-Unis – plus le constat de l’échec de la mission de donner vie à un peuple instruit – c’est-à-dire à tous ses membres ou à la grande majorité d’entre eux – s’impose.

Est-ce dû aux manquements de l’enseignant et du journaliste ou à celui du destinataire de leur formation et de leur information?

Comme tous sont des êtres humains, eux et lui!

Sauf qu’à la décharge des deux premiers dont il ne s’agit pas ici de remettre globalement en cause leurs capacités et leurs investissements dans leurs missions, enseigner et informer – au-delà des incompétents et des imposteurs qui existent comme dans toutes les professions – semblent bien des missions impossibles.

Mission impossible non pas pour tous les individus mais pour tout au moins une partie importante d’entre eux, voire peut-être une majorité.

Ce qui amène à énoncer ce constat d’échec est la réalité que nous avons devant les yeux quotidiennement.

Au-delà du fait que nous sommes tous amenés à dire et à relayer parfois des âneries et des mensonges au cours de notre présence sur Terre du fait de notre ignorance et de notre suffisance, pour ne pas dire notre bêtise, beaucoup d’entre nous – la majorité? – sont incapables au cours de leur entière existence de faire le tri afin de démêler le vrai du faux, souvent par une inaptitude à utiliser correctement le tamis de la rationalité pour canaliser les affects et éliminer le plus possible les émotions négatives qui, telles des sangsues vident notre cerveau de ses capacités logiques mais aussi de ce refus de confronter ses certitudes à une analyse rigoureuse où le questionnement doit souvent primer sur l’affirmation péremptoire pour dégager le plus possible les éléments de la réalité.

Bien sûr, les transmissions du savoir et de l’information telles qu’elles sont organisées jusqu’à présent, sont bien loin de répondre aux critères idéaux nécessaires à former systématiquement un citoyen responsable capable de prendre en charge son existence et de décider en toute connaissance de cause pour le bien de ses intérêts et de la communauté dans laquelle il vit.

Cependant, dans la réalité, le savoir et l’information adéquats existent mais ne semblent guère intéresser une grande partie des individus qui préfèrent croire plutôt que raisonner.

D’ailleurs ce ne sont pas les plus ignorants d’entre nous qui «croient n’importe quoi» mais ceux qui veulent bien croire n’importe quoi…

On ne peut pas en conclure à ce stade de l’évolution de la démocratie et de ses progrès que la mission d’instruire est définitivement impossible donc que le socle sur lequel se base cette démocratie est parcouru de fissures qui, non seulement, l’empêchent de fonctionner correctement mais qui la mène presqu’à coup sûr, à terme, à sa disparition.

En revanche, on peut affirmer qu’elle a largement failli depuis que les pays qui l’on adoptée comme régime de gouvernement, ont rendu l’école obligatoire et ont assuré la liberté d’opinion, donc celle d’expression et, in fine, celle de la presse.

L’état des lieux n’est donc guère optimiste et c’est sur celui-ci que l’on est obligé de réfléchir à l’état actuel de la démocratie et des dangers qui menacent son existence.

Surtout à prendre les décisions d’une absolue nécessité et diligence pour que les brèches de la formation et de l’information de l'individu soient le plus possible comblées.

Et ce n’est qu’après avoir remplie cette tâche essentielle et que cet état des lieux alarmant persiste, que l’on pourra réellement répondre à la question sur la capacité des humains à vivre dans une vraie démocratie.

Alexandre Vatimbella

 

03 avril 2024

L’invention d’un peuple démocratique est aujourd’hui un échec

Un lieu commun couplé avec un idéalisme naïf auxquels on peut ajouter une certaine propension à échafauder un récit fantasmagorique rassurant nous amène à croire qu’il suffit d’accorder la liberté et l’égalité à un peuple pour qu’il devienne instantanément démocratique.

Un contresens majeur.

Car un peuple vivant dans un régime démocratique n’est pas synonyme d’un peuple démocratique.

Pour qu’un peuple qui vit en démocratie soit en même temps un peuple démocratique, il doit répondre aux critères nécessaires pour que ce régime existe réellement et non formellement ainsi qu’il fonctionne correctement c’est-à-dire que le peuple doit effectivement être capable d’utiliser l’ensemble des bienfaits qu’il lui offre.

Un peuple démocratique est l’aboutissement du projet démocratique qui de virtuel devient alors effectif, faisant se rejoindre la forme et le fond.

Or donc, aujourd’hui, nous avons des peuples qui vivent en démocratie, des individus qui vivent dans des régimes démocratiques mais qui ne peuvent pas être assimilés à des peuples et des citoyens démocratiques.

Ainsi, aucun peuple actuellement ne correspond à la définition d’un peuple démocratique c’est-à-dire «un peuple composé d’individus dont chacun d’entre eux a acquis la réelle qualité de citoyen parce qu’il a été correctement formé et informé ce qui le rend capable:
- d’utiliser ses droits et de remplir ses devoirs;
- d’utiliser son autonomie en étant responsable de son existence c’est-à-dire d’être celui qui dirige sa vie en prenant des décisions responsables et rationnelles, en les assumant, concernant ses intérêts ainsi que ceux de ses proches et les intérêts de la communauté dans laquelle il vit afin de mener au mieux son propre projet de vie tout en respectant celui des autres;
- de faire la différence entre liberté et licence;
- de respecter l’individualité et la dignité de l’autre comme sont respectées les siennes.

- d’entretenir des relations pacifiques avec les autres en pratiquant le consensus et le compromis.»

S’il est facile de faire le triste constat qu’un tel peuple n’existe pas – et que peu d’individus répondent aux critères listés ci-dessus pour être des citoyens à part entière, c’est-à-dire d’exercer cette qualité de manière optimum – alors que le projet démocratique est en cours depuis près de 250 ans, la question qui demeure en suspens est de savoir s’il pourra un jour exister.

Rappelons que les initiateurs et défenseurs d’un ordre démocratique étaient évidemment conscients de la nécessité de créer un peuple démocratique, des difficultés que cela représentait et du défi qu’ils devaient relever.

Ils savaient qu’il fallait un individu éveillé c’est-à-dire ayant reçu un enseignement de qualité et au courant du monde dans lequel il vit, c’est-à-dire correctement informé d’où l’importance de l’école obligatoire et d’une presse de qualité.

Sans dire que l’école et la presse ont complètement échoué dans leurs missions démocratiques, elles n’ont néanmoins pas réussi à façonner l’individu pour le conduire vers la citoyenneté véritable.

Pire, cet individu dévoie souvent les offrandes démocratiques dans une démarche consumériste égocentrique, irresponsable et irrespectueuse, les retournant contre le projet démocratique en cours, le mettant en péril et menaçant son existence même.

D’où la conclusion pour certains qu’il en sera toujours de même donc que l’individu démocratique ne sera jamais.

Je ne serai pas aussi catégorique.

Ce qui ne permet pas encore de conclure que le projet démocratique, s’il est bien un échec aujourd’hui, le sera définitivement demain, c’est que les moyens n’ont jamais été à la hauteur de l’ambition de créer cet humain libre, conscient de sa liberté et capable de bien l’utiliser.

Cependant, il faut bien comprendre que le défi à relever demande une mobilisation autrement plus conséquente de moyens matériels et intellectuels que ceux qui ont été consacrés jusqu’à présent à cette tâche cardinale.

Comme si on avait jusqu’à présent espérer qu’un ersatz de citoyen suffirait au projet démocratique!

Une terrible erreur que nous payons et que nous paierons au prix fort si nous ne faisons rien pour créer la dynamique essentielle.

C’est dans ce sens – en consacrant les moyens nécessaires – que l’on peut espérer que l’invention d’un peuple démocratique ne sera pas une simple chimère d’idéalistes un peut trop rêveurs.

En revanche, nous devons être conscients que le peuple démocratique n’est encore qu’un objectif et non un but atteint.

Et que le temps presse.

Alexandre Vatimbella

 

 

 

26 mars 2024

Du soi-disant homo kholéra

En ce 21e siècle et début de troisième millénaire, sommes-nous tous devenus des coléreux?

Tous, parce qu’à chaque fois que nous sommes mécontents, que nous sommes fâchés, que nous revendiquons, que nous nous opposons, voire que nous avons un simple agacement, les médias titrent systématiquement avec une certaine gourmandise que nous sommes «en colère».

Et l’on trouve évidemment une floppée d’essayistes, d’«experts» et de «spécialistes» qui viennent confirmer sur les plateaux de télévision, les studios de radio et dans les pages «débats» de la presse écrite notre état colérique quasi-constant.

La sphère médiatique a donc, sinon inventé la colère, en tout cas largement l’humain en colère, un «homo kholéra», une identité dont nous sommes désormais affublés à chacune de nos réactions épidermiques face à la moindre contrariété et qu’ont repris jusqu’à plus soif politiciens populistes et autres subversifs professionnels comme les trolls qui sévissent sur les réseaux sociaux parce qu’ils y ont trouvé un moyen facile et répétitif pour mobiliser tous les haineux et pour affaiblir la démocratie républicaine libérale en montrant qu’elle ne peur que susciter le rejet violent.

Analysons donc cette créature façonnée principalement dans les salles de rédaction.

La «colère», d’abord.

Elle n’est pas une simple émotion comme nous l’apprend le CNRTL (le Centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS) mais une «vive émotion de l'âme» qui se traduit par «une violente réaction physique et psychique».

Et pour ceux, il y en a, qui valorisent la colère, voici ses principaux synonymes que donnent Crisco, le dictionnaire spécialisé en la matière de l’Université de Caen: irascible, emporté, rageur, atrabilaire, irritable, bileux, orageux acariâtre, soupe au lait, tempétueux, courroucé, hargneux, fulminant…

La colère – le mot et ce qu’il représente –, on s’en doute, ravît évidemment tous les promoteurs du spectacle informatif en particulier des chaines d’infos en continu et tous les subversifs dont l’utilisation leur permet d’attirer le chaland et de créer la tension voire le chaos dont ils profitent pour des raisons commerciales ou idéologiques.

La colère par essence divise, entre le colérique et l’objet de son courroux; elle est radicale, elle est le point paroxystique du mécontentement; elle s’en prend directement à une cible identifiée comme responsable de ce qui l’a provoquée, le colérique a besoin de matérialiser un bouc émissaire de sa contrariété et dans la sphère publique c’est bien sûr, au premier chef, l’appareil étatique et les gouvernants en place.

L’homo kholéra, ensuite.

Selon les médias, un individu serait «en colère» dès lors que ses intérêts, non seulement, ne sont pas pris en compte mais assouvis par le gouvernement en place.

Dans les mouvements sociaux et culturels, leur homo kholéra ne tempête pas seul sur son canapé devant sa télévision, son ordinateur ou son téléphone portable, mais il se réunit, grâce aux réseaux sociaux, avec ceux qui partagent son courroux pour former cet aussi fameux «plêthos kholéra», le soi-disant peuple en colère qui n’est souvent en réalité qu’un groupe ou une populace mais qui provoque un état de défiance et de violence dans l’espace public largement relayé par tous ceux cités plus haut et souvent soutenu dans les sondages par ceux qui, eux, demeurent installés sur leur canapé...

Néanmoins, il faut se poser la question de savoir si l’on peut relier cet «homo kholéra» et ce «plêthos kholéra» médiatiques à un quelconque phénomène psycho-sociologique qui existerait dans nos sociétés actuelles?

S’il est d’abord une création médiatico-politique comme nous l’avons vu, celle-ci s’appuie tout de même sur un fonctionnement de l’individu qui s’est développé ces dernières décennies et est devenu assez largement commun en ce début de troisième millénaire et que l’on peut caractériser par son autonomisation – phénomène positif (1) – débridée et irresponsable – qualités éminemment négatives –, conséquence paradoxale et préoccupante des avancées démocratiques de nos sociétés modernes car cette autonomisation débridée et irresponsable est un danger pour la démocratie, une sorte de créature dévoyée qui se retournerait contre son inventeur…

Ainsi, cet individu «en colère» serait en réalité un individu à l’autonomisation égocentrique, assistée, irresponsable, insatisfaite, irrespectueuse et consumériste avec une demande de sur-reconnaissance et de sur-égalité qui est même présente dans les sociétés non-démocratiques.

Cependant pour que l’individu à l’autonomie débridée et irresponsable puisse réellement exister dans la sphère publique, il faut qu’il vive dans une société démocratique.

Là, il peut être qualifié – faussement – d’«homo kholéra», une sorte de «pas content», voire de «jamais content» pathologique qui s’appuie sur les libertés offertes par la démocratie pour la remettre en question.

En réalité, il n’est pas «en colère» mais utilise les attributs de celle-ci pour demander toujours plus de droits et accepter toujours moins de devoirs.

In fine, l’«homo kholéra» des médias serait en fait un «homo immaturus», un humain d’abord immature, incapable d’utiliser son autonomie autrement que dans l’irresponsabilité.

Mais, bien sûr, il ne s’agit pas ici pour moi de nier que l’on puisse être en colère, ni qu’elle ne puisse pas être dirigée contre le pouvoir en place, ni même qu’elle puisse être collective.

Ce que je critique et ce à quoi je m’inscris en faux, c’est cette obsession médiatique et populiste qui considère que toute opposition aux gouvernants est désormais mue par la colère, que nous serions entrés, en quelque sorte, dans un «ère de la colère».

Cette utilisation jusqu’à plus soif de la colère est une nouvelle preuve que nous sommes plutôt entrés dans l’ère d’une médiacratie (2) médiocratique qui est démagogique, populiste et consumériste et où les médias délivrent de plus en plus de l’information émotive, voire de l’émotion informative (ce qui fait que nous ne sommes pas «surinformés» mais «sur-désinformés»).

La colère, dans ce cadre, est comme un poisson dans l’eau!
Et cette mise en scène constante d’une soi-disant colère est un danger pour la démocratie républicaine qui est un système qui, pour être viable, doit être assis sur le consensus, la discussion et le compromis.

On comprend ainsi aisément pourquoi les adversaires de la démocratie et des valeurs humanistes comme les extrêmes de gauche et de droite tentent systématiquement de susciter la colère en qualifiant toute mauvaise humeur comme telle et lorsqu’elle se manifeste réellement de l’attiser par tous les moyens.

Oui, la colère est une émotion anti-démocratique par excellence.

Non pas qu’il ne faille pas exprimer un mécontentement (principalement dans les urnes), revendiquer et utiliser toutes les formes qu’offre la démocratie pour faire valoir ses intérêts.

Le débat démocratique ne doit pas être aseptisé mais il ne peut être violent et avoir comme objectif de se supprimer lui-même!

La colère est, par ailleurs, différemment perçue dans le débat philosophique.

Ainsi nombre de philosophes en font une émotion positive comme Aristote et les Péripatéticiens – à condition qu’elle soit «modérée» (sic!) – ou Nietzche mais est, en revanche, une passion négative pour les Stoïciens et en particulier Sénèque qui considère qu’elle s’oppose toujours à la raison, qu’elle détruit et non qu’elle aide à construire.

Je serai plutôt enclin à prendre le parti du Romain contre le Grec en ajoutant que j’opposerai cette colère définie par Sénèque à la révolte de Camus, émotion positive parce qu’elle veut mobiliser la raison pour combattre l’injustice.

Ainsi, pour Camus, «la révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible», tandis que pour Sénèque, la colère n’est pas raisonnable, elle ne peut être que nuisible et est, in fine, un vice de l’âme et d’affirmer: «la raison veut décider ce qui est juste; la colère veut qu'on trouve juste ce qu'elle a décidé».

Alexandre Vatimbella

(1) L’autonomisation est le processus par lequel un individu de plus en plus autonome grâce à la liberté qui lui est accordée ainsi que par les capacités qu’il acquiert, lui permettant de s’affranchir d’une dépendance vis-à-vis de la société et de se prendre en charge afin de maîtriser sa destinée économique, professionnelle, familiale, sociale et culturelle, tout en estimant qu’il n’a de compte à rendre à personne ou qu’il n’a aucune obligation de se sentir redevable par rapport à la communauté dont il est issu et/ou dans laquelle il vit. Néanmoins, pour être vivre une vraie autonomie, l’individu doit accepter la responsabilité qui va avec ainsi que le respect de la dignité de l’autre. Sinon, cette autonomie se transforme en une attitude largement licencieuse.

(2) La médiacratie est la société de l’information, du spectacle et de l’exhibition en continu sorte de médiapolis extravertie. Son fonctionnement aboutie à une sur-désinformation et à un déculturation du citoyen.